De J.-J. Ampère à André-Marie Ampère.
Weimar, 9 mai 1827.
[ Biedermann-Herwig Nr. 5970: „Cher père, je suis ici très-agréablement; je vois souvent Gœthe, j’ai dîné la semaine dernière trois fois chez lui en petit comité, faveur qu’il accorde trèsrarement aux étrangers1. J’ai pu pénétrer plus avant dans son âme, l’entendre parler plusieurs heures de suite, s’épancher avec une verve et une chaleur qui ont cinquante ans de moins que lui. Ce qu’il y a d’admirable, c’est qu’il est au courant de tout, s’intéresse à tout, est présent à tout; il raconte nos vaudevilles nouveaux comme s’il venait de les voir, sait par cœur les chansons de Béranger; il ne se fait rien en Allemagne sans qu’il y prenne part. Ses traits ressemblent beaucoup au portrait qu’il a envoyé à Mlle Cuvier, et que Mme de Gœthe, sa belle-fille, m’a donné; mais il faut placer sur ses lèvres sévères, un peu dédaigneuses, le sourire de bonhomie qui y erre sans cesse, et dans ses yeux une 446flamme extraordinaire qui en jaillit par moments, pour avoir l’idée de Gœthe quand il est lui-méme, c’est-à-dire en famille. Avec du monde, il est plus froid, mais sans raideur dans ses manières. Sa taille est droite comme un jonc; c’est véritablement une nature d’une force prodigieuse.
„Je viens de lire Héléna, épisode de la Suite de Faust, qu’il a composé l’hiver passé, à soixante-dix-sept ans, et qui paraîtra dans quinze jours avec la première livraison de ses œuvres complètes. C’est un ouvrage trèsextraordinaire, on y trouve des passages d’une puissance, d’une grâce incomparable. ]
„Les nouvelles politiques de Paris occupent ici beaucoup; nous en sommes au renvoi de la garde nationale et nous attendons avec impatience la suite du drame.
„Des poignées de main à tous mes amis.
„J.-J. Ampère.“